"Carotte, pourquoi es-tu carotte?"

"Les enfants c'est bien connu, ça fait des difficultés pour manger".

Sauf que pour moi, ce n'était pas totalement vrai jusqu'à présent. J'avais effectivement un peu de mal à leur faire avaler autre chose que des légumes bio vapeur accompagnés d'une ou deux cuillères de féculents (bio, de préférence). C'est vrai que quand nous sommes invités chez des amis ou dans la famille, dès qu'il leur est proposé quelque chose d'un peu élaboré, c'est le désespoir. C'est vrai.

Quand je dis un peu élaboré, ça ne va pourtant pas forcément chercher bien loin : ça peut être un bon gratin, un bon plat bien pratique qui a le mérite de nourrir tous les enfants d'un coup avec un plat unique. Mais ça, ça ne passe pas. Ceci dit, je préfère qu'ils aiment mieux manger des légumes vapeur que du gratin chaque jour.

Bref, c'est surtout Préado qui "pose problème", il faut être honnête; mais il me fait de tels sketches, si monumentaux, que j'ai tendance à englober toute la fratie dans l'histoire, peut-être de façon à minimiser son cirque ridicule. Ca me paraît moins incroyable quand j'imagine que c'est l'oeuvre de trois enfants à la fois.

Jusqu'à présent donc, les légumes vapeur passaient sans aucun souci. Quasiment tous. Mais depuis quelques semaines, Préado trouve régulièrement quelque chose à redire. Dernièrement, les épinards ont changé de goût, les brocolis et les choux-fleurs ont une tige dure, le jambon (lui aussi!) n'est plus préparé comme avant et les carottes ont une base dégoûtante.

Les carottes, c'est justement ce que nous avons mangé ce midi et c'est justement le dernier sketch qui s'en est suivi qui m'a donné envie d'écrire ce billet.

Aujourd'hui, c'est jour de courses à aller chercher au drive (c'est pour la fin d'après-midi, sortie familiale qui déchire, youhou!). Et qui dit jour de courses dit frigo relativement vide. Et comme il est déjà midi bien passé, je décide qu'en guise de légume, ce sera carotte crue (bio) à croquer pour tout le monde. C'est très bon pour le transit en plus. Je précise que je n'ai pas jeté les carottes dans les assiettes comme ça; elles sont été soigneusement débarrassées de leur peau et de leurs extrémités (c'était la minute cuisine). Bref, chacun croque sa carotte et Préado, l'air écoeuré, me laisse un petit tas de carotte vaguement mâchouillé dans son assiette.

A la maison, les règles sont très claires :

- si je propose un aliment qu'ils ne connaissent pas, les enfants doivent le goûter; ils sont libres ensuite de le manger ou de le laisser s'ils ne l'apprécient pas.

- si l'aliment en question est connu et a priori aimé (pas folle la nana, je ne prévois pas tout un repas avec des trucs qu'ils n'aiment pas), l'assiette peut ne pas être terminée; en revanche, le repas lui, s'arrêtera là. En gros, pour les carottes, je n'avais pas pris de risque incensé (trop guedin la mère!).

L'énervement se fait plus bruyant chez Préado, qui sait très bien que la carotte est un aliment ami qui doit être mangé, faute de quoi c'est la table qui sera quittée. Préado m'explique que la base de la carotte, donc le côté avec le plus gros bout, n'est vraiment pas bonne; qu'il n'a en fait jamais aimé ça mais qu'aujourd'hui c'en est trop, il ne peut plus le supporter. Texto.

Moi : "..."

"Tu connais les règles mon chéri; si tu continues ton cirque pour ce minuscule petit bout de carotte (prémâché certes et donc plus très appétissant), tu pourras quitter la table. Alors arrête donc et mange ce tout petit truc."

Cris, pleurs.

Préado : "Pourquoi?!"

Ce "pourquoi" m'a vraiment fait rire, parce qu'il était exactement dit sur le même ton que celui de Juliette dans Roméo et Juliette quand elle dit "Roméo, pourquoi es-tu Roméo?".

Je n'ai donc pas pu m'empêcher de lui répondre : "Carotte, pourquoi es-tu carotte?".

Nous avons bien ri, même si sur le moment les enfants n'ont pas compris pourquoi ils riaient. J'en ai profité pour glisser une petite explication de texte sur la pièce de Mr Shakespeare... mais je ne suis pas persuadée qu'ils retiendront. Quoi? On peut bien parler littérature à 8, 6 et 3 ans!

Bref, après avoir longuement parlementé, essuyé moultes larmes et subit moults cris, le petit morceau de carotte prémâché a été avalé sur une chips, c'était plus supportable pour mon pauvre Préado au bout du rouleau.

Il semblerait que les goûts de mon grand bonhomme changent, et pas de la meilleure façon. Interrogé sur les légumes qui trouvent encore grâce à ses yeux, Préado m'a répondu "épinards et haricots verts".

Nous v'là bien pour faire des menus variés. Je sens qu'on va encore vivre pas mal de tragédies.